Malgré quelques tirs sporadiques la population se mêle vite aux soldats américains. J'ai appris de suite que des résistants français avaient occupé des points stratégiques et facilité ainsi le débarquement allié. Au Cap-Matifou, mon père, réveillé par des tirs se trouva en présence de soldats noirs qui l'obligèrent à se réfugier dans l'église avec la population effrayée du village.
Ce n'est que le lendemain que j'ai pu me rendre compte de l'ampleur de l'événement. La radio de Londres d'abord nous donne des détails
Une armada de 200 navires de guerre anglo-américains, sous le commandement du général Eisenhower, avait débarqué au moins 150 000 soldats sur le territoire français d'Afrique du Nord. Dés le lendemain, après cette journée de liesse, à la tombée de la nuit, des avions Allemands venaient lâcher leurs bombes sur Alger. Tous les bateaux de guerre américains , avec leur DCA , ripostaient.
Depuis les hauteurs d'Alger, j'assistai au plus grand feu d'artifice, comme je n'en avais jamais vu. La population d’Alger se terrait dans les caves. Plusieurs avions ont été abattus, mais d'autres se délestaient de leurs bombes au hasard en passant sur le Cap-Matifou. Heureusement qu'il n'y eut pas de victimes. Au village, c'était notre premier contact avec la guerre.

La radio nous apporte de très mauvaises nouvelles. La France est entièrement occupée. La flotte française se saborde à Toulon. L'Algérie entre en guerre aux côtés des alliés. Les navires de guerre déversent troupes et matériel sur les côtes algéroises. Cap-Matifou, si tranquille d'habitude, est envahi par des véhicules militaires de toute sorte.
Je vois alors les premières jeeps, les véhicules blindés qui se répandent sur les routes. Les soldats distribuent des chewing-gum, des chocolats, des cigarettes à la population. Dans ces jours de liesse on trinque avec les soldats. Dans les trois cafés du village le "moscatel", boisson préférée des américains, coule à flots. Discrètement dans l'arrière-boutique, on fabrique clandestinement ce précieux apéritif, en faisant bouillir du vin.

C'est la guerre, tout est permis!

Une semaine après je suis mobilisé, comme tous les jeunes Français d'Algérie. Je rejoins la nouvelle armée d'Afrique équipée avec du matériel américain. C'est avec la 1ere armée française, du Général de Lattre de Tassigny, que je débarque le 15 août 1944, sur les plages de la Côte d'Azur, pour délivrer la France.