Le plan du village à cette époque
C’était le début d’une période de forte tension politique en France et dont l’onde de choc arrivait jusqu’au plus petit village d’Algérie. 1934 est déjà une année de forte tension internationale. Paris est le théâtre de manifestations de partis politiques extrêmes. C’est justement cette année là que je suis appelé à faire mon service militaire en France, au 1er chasseurs à cheval à Alençon. C’était un déchirement pour mes parents de se séparer pour un an de leur fils unique. Pour moi, au contraire, c’était une joie de voir enfin la terre de ma patrie : La France. Avec 10 autres jeunes d’Algérie, nous voilà partis pour un long voyage en bateau puis en train pour Alençon. Les jeunes appelés étaient presque tous des paysans bretons ou normands, meilleurs cavaliers que nous.
Avec le froid et la neige, la Normandie ne m'a pas laissé un grand souvenir, d’autant que je contractai une scarlatine qui m’évita d’aller avec mon régiment à Paris le 6 février 1934 pour charger les manifestants des « Croix de Feu » du Colonel de la Roque. Heureusement que j’ai pu faire la connaissance d’un Paris plus calme au cours d’une permission. Un cousin germain, garde républicain, habitait rue Ordener. J’arrivais à Paris en train à la Gare Montparnasse, dans la nuit et il fallait rejoindre la rue Ordener en métro, que je prenais pour la première fois. Ainsi, il était près de minuit, alors que j’arpentais encore cette longue rue pour trouver enfin l’immeuble du cousin. Au fond de moi-même j’étais heureux et fier d’avoir découvert tout seul Paris et son métro souterrain. Paris la nuit était plus calme qu'aujourd'hui.
A cette époque les seules rencontres qu'on pouvait faire c'étaient les agents de police à vélo avec leurs grandes pèlerines noires qui les faisaient ressembler à des hirondelles. Après une longue année de service passée en Normandie, j'allais retrouver les miens et mon village. C'est sans regrets que je quittais l'uniforme militaire, bien peu élégant à cette époque. Un long voyage en train vers Marseille, qui nous accueillait avec son mistral, et nous voilà embarqués sur le bateau pour Alger. En longeant les côtes des Baléares, je ne pense pas avoir eu une pensée pour mon grand père né sur ces îles. Enfin, Alger la Blanche nous accueille sous un soleil éclatant. Je me sens chez moi, surtout qu'à l'horizon se dessine, à l'est la pointe du Cap-Matifou.

Avec la joie de retrouver ma famille, mes copains et mon Cap, je découvre que beaucoup de choses avaient changé en un an. Il y avait un nouveau maire et une nouvelle mairie. Dans ce bâtiment moderne, je reprenais mes fonctions de secrétaire auprès de Monsieur Karr le secrétaire général.
Monsieur Rosfelder, le nouveau maire, avait fait sortir le Cap de sa léthargie. La commune allait connaître un bouleversement total avec la création d'un nouveau lotissement qui deviendra la station balnéaire d'Alger Plage. Entre l'oued Hamiz et les ruines de Rusgunium sur ce qui n'était que des dunes de sable, on traça des routes, on édifia de luxueuses villas, des plages furent aménagées, bref une ville nouvelle fut créée.
La population de la commune quintupla surtout l'été. De ce jour, le calme et la tranquillité de mon village cessèrent. On était rentrés dans une ère nouvelle, le petit village mahonnais était devenu une petite station balnéaire à la mode avec de nombreuses résidences secondaires appartenant à des commerçants ou des notables algérois.