Il y avait les enfants de fonctionnaires qui, en général, étaient de souche française (le postier, les instituteurs, le secrétaire de Mairie). Il y avait le fils du gardien de phare, un breton, Yves Le Guennec. Enfin il y avait les enfants Dabadie dont le père était d'origine basque et qui sont devenus mes meilleurs amis. Deux élèves musulmans seulement, fréquentaient l'école. L'un : Mustapha Hafiz était le fils d'un Turc descendant d'une famille installée en Algérie depuis l'occupation ottomane. Un autre était un kabyle blond, appelé Smain, fils adoptif d'un Français, M. de Magnin. Tous ces camarades d'école je les ai perdus de vue. Je suis quand même heureux de pouvoir les retrouver virtuellement sur Internet. J'ai un souvenir très émouvant, gravé dans ma mémoire de cette classe.
En fin d'année scolaire, nous avons joué devant nos parents, une pièce de théâtre comique du Moyen-âge : la "farce de Maitre Pathelin". Le spectacle avait été organisé" dans la cour attenant au "Café des Amis". Les plus grands élèves ont interprété les rôles de personnages typiques de cette époque. Un avocat sans cause, Maître Pathelin, un drapier âpre au gain, sa femme et , enfin, Thibault, un berger un peu simplet. C'est ce rôle que je jouais. Il n'était pas très difficile puisque je n'avais qu'à prononcer trois paroles :"bée! bée! bée", imitant le cri du mouton. La salle éclatait de rire. Les parents applaudissaient, tout fiers de leurs progénitures !
Je serais bien ingrat si je ne rendais pas un hommage à ces premiers maitres qui nous ont appris à parler la langue française, à lire et à écrire. Grâce à eux on peut dire que l'assimilation des Mahonnais d'Algérie est inimitable. Parmi les instituteurs qui se sont succédé au Cap, l'un d'entre eux, un jeune pied-noir s'est rendu célèbre au cours de la guerre I939-45. Pierre-Louis Bourgoin a débuté, tout jeune instituteur, dans notre village. Mobilisé en 1939, il rejoint les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle à Londres. A la tête d'un commando de parachutistes, il participe au débarquement du 6 Juin I944. Pour cet acte de bravoure, il reçoit, entre autres distinctions, le titre de Compagnon de la Libération.
Mon père exploitait seul sa ferme de 10 hectares. Dans l'étable nous avions deux bœufs pour tirer la charrue et un vieux cheval qu'on attelait à une carriole pour se rendre de temps en temps au marché de Maison-Carrée. Contrairement à Fort de l'Eau il n'y avait pas d'eau dans le sous-sol. Chez nous on ne pouvait cultiver que des céréales et un peu de tabac. Ma mère élevait de la volaille, une chèvre et des lapins. Enfin on engraissait tous les ans un porc pour faire la traditionnelle charcuterie mahonnaise et en particulier la fameuse "soubressade" que les pieds-noirs ont importé avec eux en France.