Ma ferme était en face de celle de Monsieur Brunengo, grand père maternel du Docteur Georges Bichelberger. Jeune étudiant il y venait en vacances avec ses parents. J'allais souvent chez lui. Je le suivais partout :au jardin, à la pêche ou à la chasse.
Il avait, je crois sept ans de plus que moi. Il venait de passer son bac et moi le certificat d'études ! C'était plutôt un grand frère qu'un ami. Georges avait surtout la passion de la T.S.F.
La téléphonie sans fil en était à ses débuts. Je devins vite passionné comme lui par cette "nouvelle technologie".
Le premier émetteur de Radio-Alger avait été inauguré en 1926. C'était une nouveauté en Algérie. De suite nous nous sommes intéressés à cette merveilleuse découverte. Les ondes radio-électriques qui transportaient de la musique et des paroles n'eurent bientôt plus de secret pour nous. Une bobine de fil de cuivre (la self), une paire d'écouteurs et un petit morceau de cristal de galène et voilà que nous avions fabriqué le premier poste radio du Cap-Matifou.
Mais pour capter les ondes, il fallait une bonne antenne et une prise de terre. C'est ainsi que nous avons tendu un long fil de cuivre entre le toit de la maison du grand-père Brunengo et le sommet d'un figuier situé à une trentaine de mètres. La prise de terre c'était un gros clou, enfoncé dans la terre et relié au poste. Et là le miracle se produisait : on entendait dans les écouteurs la musique de Radio-Alger.

C'était d'autant plus miraculeux que cela fonctionnait sans électricité. Heureusement car à cette époque les zones rurales n'étaient pas encore électrifiées. Les programmes de cette radio étaient simples : de la musique et un bulletin d'information lu par un speaker.
J'eus vite fait de bricoler un poste pour moi-même et pour des voisins émerveillés par cette découverte. Gabriel Torrent, le mutilé de guerre et son frère le coiffeur, que nous appelions familièrement "maton", furent les premiers à en bénéficier. Les grandes vacances scolaires duraient trois mois en Algérie. Les enfants du village petits et grands se retrouvaient sur la place pour s'amuser aux boules ou au football. Filles et garçons jouaient souvent à la cachette autour de l'église.
On organisait aussi des courses de vélos sur la route du village, peu fréquentée à cette époque. On s'identifiait aux coureurs du Tour de France .On se prenait pour les champions, André Leducq ou Antonin Magne, dont les exploits étaient suivis, au début Juillet, par toute la France et même en Algérie. Grâce à mon poste à galène, j'étais un des premiers à connaitre les résultats de chaque étape. J'étais fier d'aller les afficher au "Café des Amis", tenu par le cousin de mon père, Joseph Cervera, un autre mutilé de guerre, blessé à Verdun.