Le 1er octobre c'est le grand départ pour l'EPS de Maison-Carrée. Maman prépare mon trousseau, papa attelle le cheval à la vieille carriole, et nous partons sur la route poussiéreuse de Maison-Carrée. Le cheval a l'habitude de faire ce trajet de 14 km car il y va, avec mon père, presque tous les vendredis, jour de marché à Maison-Carrée. Le collège est sur les hauteurs de la ville. Il domine l'Harrach, ce fleuve si capricieux, aux crues soudaines et aux odeurs nauséabondes.
Dans le hall d'entrée du grand bâtiment de l'école : la loge du concierge et une grande plaque de marbre frappe ma vue. C'est un hommage de la France reconnaissante aux deux généraux FOCH et JOFFRE, héros de la guerre I9I4-I9I8. Là, je crois que j'ai ressenti la fierté d'être Français en cette Algérie qui a su si bien accueillir et faire aimer la France à ces petits Mahonnais.
Ma mère me présente au directeur M. Rudondy, un Auvergnat et me voila enfermé dans cette boite pour quatre ans. Ma deuxième année de collège fut gâchée par la maladie. Sous le climat malsain de Maison-Carrée. Je contractais le paludisme. J'ai gardé un mauvais souvenir de ce collège et surtout de l'internat. Autrefois la vie d'interne n'était pas rose.

On couchait dans des dortoirs collectifs d'une cinquantaine de lits. Aucune intimité aux lavabos, douches, etc. La discipline était stricte. Comment ne pas comparer avec la vie dans certaines prisons aujourd'hui.
Aussi c'est avec un grand ouf de soulagement que je repartais le samedi vers le Cap, en voiture à cheval avec mon père. Monsieur Rudondy, le dirigeait ce collège avec une grande autorité. Sa femme était intendante. Le surveillant général Tallagrand était sévère mais juste. J'ai gardé le souvenir d'un professeur de math violent, M. Payous qui frappait les élèves. La classe était terrorisée pendant son cours. Le plus chahuté était M. Gain, le professeur de chimie. Il avait la fâcheuse habitude d'écrire au tableau, le dos tourné aux élèves.
A notre époque il n'y avait pas de micro ni d'amplificateur comme aujourd'hui. Le professeur avait trouvé une idée astucieuse pour nous faire chanter les "Bateliers de la Volga", où les voix des pêcheurs doivent arriver crescendo. Les élèves entonnaient le fameux chœur enfermés dans le réfectoire. On ouvrait progressivement les fenêtres. Les voix arrivaient de plus en plus fort aux spectateurs, dans la cour, donnant l'impression de venir des pêcheurs qui se déplacent en chantant. Malheureusement j'ai oublié le nom de cet ingénieux professeur de chant qui a marqué mon enfance. Malgré les désagréments de la vie d'interne, je n'ai pas oublié que les enseignants de ce collège m'ont parfaitement éduqué dans un esprit de discipline qui a complètement disparu aujourd'hui.